samedi 4 décembre 2010

Entrevue avec Adam Kesher


Rencontre dans les loges avec Gaëtan, guitariste et Julien, au chant et au clavier, les deux bordelais, fondateurs du projet Adam Kesher !

Pourquoi « Adam Kesher », personnage de Mulholland Drive, le film de David Lynch, c'est votre film préféré ?

Gaëtan : Ouais, ça a été pendant longtemps un de mes films préférés, jusqu'à ce que Lynch fasse Inland Empire, que j'ai trouvé beaucoup mieux. Après pourquoi « Adam Kesher », et bien à la base ça vient du fait que quand on a commencé ce projet avec Julien on venait de voir le film et on cherchait un nom de groupe. On repensait à cette scène où un des mafiosi débarque chez Adam Kesher et hurle son nom. Et du coup c'est venu de là, tout bêtement !




Et l'anglais alors, ça vous est venu comment ?

Gaëtan : Ça vient du fait qu'on écoute énormément de musique anglo-saxonne, voire presque uniquement, à quelques exceptions près. Par rapport aux références qu'on a, c'est plus naturel de chanter en anglais, c'est juste que ça fait partie de nos références.

Ce choix a dû vous aider à vous exporter à l'étranger, non ?

Julien : D'une certaine manière. Après, le fait de chanter en français ça peut être assez cool. Il y a par exemple Les Plastiscines qui marchent aux États-Unis, parce que les américains y voient une sorte de suite des Yéyés. Il y a un certain charme à chanter en français, c'est exotique pour les autres pays (!). Nous on est la génération où quand on a commençait à faire de la musique c'était le début de Myspace et c'était facile de rentrer en contact avec des anglo-saxons sans avoir à envoyer des CD par la poste qui n'arriveraient peut-être pas à destination. Au début, en plus, il y a avait moins de groupes qu'aujourd'hui donc c'était encore plus facile de parler à un type qui faisait des soirées à Londres ou à New-York et de se faire programmer. Pour ces raisons là c'était assez naturel de chanter en anglais.

Et alors quelles sont les différences frappantes entre les différents publics ?

Julien : Bah, les français ils tapent pas de la même manière dans les mains (rires)... Ils tapent sur le premier temps...

Gaëtan : …et sur le troisième. C'est à dire sur les pieds, et les anglo-saxons ils tapent sur deux et quatre et ça fait plus groover la musique !

A-track, Philippe Zdar, Dave One de Chromeo, on sent que vous avez voulu mûrir votre projet. Qu'est-ce que ces rencontres vous ont apporté ?

Gaëtan : Ça s'est fait assez naturellement en fait parce que Dave One est un copain de Matthieu Couturier qui est le gros patron de Disque Primeur ! Il a amené à Dave One le nouveau disque en lui disant « Voilà, est-ce que ça te dirait de t'occuper de la réalisation et de peaufiner la production ? » et il a accepté. Il s'est donc greffé sur le projet et ça a été super positif. Et comme il connait très bien Philippe Zdar parce que Chromeo mixe presque tout chez lui, il a proposé quelques morceaux à Zdar.

Julien : Pierrick, notre bassiste, jouait de la guitare dans Cassius donc il connaissait bien Philippe Zdar aussi. Et pour A-track, c'est le frère de Dave One, donc...

Gaëtan : Ça s'est fait d'une part par rapport aux contacts et puis parce qu'ils étaient tous un peu motivés par le projet. Ça nous a apporté énormément.

Pourquoi ce tournant avec cet album beaucoup plus pop voire disco contrairement au précédent plus rock ?

Gaëtan : Quand on fait de la musique, c'est de la création donc c'est extrêmement lié à un environnement particulier, à des influences à un moment donné. Même le titre du disque, l'ambiance des paroles sont liés à toutes ces influences qu'on pouvait avoir sur le moment. Ce tournant disco c'est vraiment quelque chose qu'on a senti comme étant ce qu'on voulait faire à ce moment là et du coup on a frayé cette voie là.

Julien : C'est aussi dû au fait qu'on a décidé de faire l'album avec Dave One. Quand il est arrivé en tant que producteur, on avait une vingtaine de morceaux qui partaient un peu dans tous les sens. Matthieu, de Disque Primeur, voulait justement qu'on ait un producteur pour rendre l'album un peu plus cohérent et suivre une ligne de conduite. Donc à partir du moment où on a accepté de travailler avec Dave One qui a plein d'idées et qui est quand même très influencé par la disco et la grosse pop, il fallait jouer le jeu. C'est sûr qu'on allait pas faire un album shoegazing avec Dave One, ça aurait été un peu con !

Phoenix, Jamaica, Pony Pony Run Run, le créneau est un véritable phénomène de mode, avec cette effervescence électro-pop, électro-rock, comment pensez-vous vous positionner ?

Julien : Le seul groupe dans cette scène qu'on ait vraiment écouté et qu'on connaisse un peu c'est Phoenix. On a fait leur première partie à La Cigale, on a fait un remix pour eux et puis Pierrick, le bassiste, les connait bien. Ils ont fait quelque chose que tous les groupes français aimeraient réaliser. Jamaica, Pony Pony Run Run, ce ne sont pas des groupes qu'on écoute particulièrement mais c'est chouette qu'il y ait des choses qui se passent en France et que la musique française ne se résume pas à Louise Attaque.

Gaëtan : C'est encourageant de voir qu'on peut arriver à faire des choses en anglais en France. J'ai l'impression qu'il y a un cap qui est en train d'être passé par rapport à toutes ces histoires de quota et que faire de la musique en anglais en France devient de moins en moins quelque chose de polémique où tout de suite on va te dire « mais pourquoi vous chantez pas en français, est-ce que vous avez honte de cette langue ? ». Ça devient quelque chose de beaucoup plus naturel, lié à une certaine culture, à savoir la culture pop qui est essentiellement anglo-saxonne.

Vous aimeriez faire quelque chose en français ?

Gaëtan : Oui, j'aimerais beaucoup mais c'est vraiment dur. J'ai réfléchi de plein de façons à comment chanter en français et je pense qu'il y a de très bonnes choses qui ont été faites de ce point de vue là...

Julien : En terme de groupe, ça date des années 70. Il y a plein de types qu'on aime, comme Alain Kan, qui a fait des trucs géniaux mais ça restait très particulier, c'était des sortes de mecs qui chantaient pas vraiment, qui faisaient des sortes de logorrhées complètement psychédéliques. Aujourd'hui, il n'y a que les rappeurs qui font des trucs intéressants en français.

Gaëtan : C'est vrai qu'en France, à l'heure actuelle, en dehors de la variété, il n'existe pas vraiment de patte à la française comme on a pu connaître avant.

Julien : Finalement la patte à la française c'est beaucoup plus une patte de production, de mélodie. Les gros labels comme Record Maker ou EdBanger ont imposé davantage une manière de produire les morceaux qu'une manière de chanter et le rendu reste malgré tout très français. Le groupe Phoenix est aussi un bon exemple : ils chantent en anglais, mais leurs paroles et leur façon d'interpréter est pourtant bien française. Matthieu, qui joue du clavier dans Adam Kesher, habite à Londres et il bosse dans un magasin de disques et les anglais lui disent souvent « Tu sais le mec de Phoenix... si c'était un anglais qui chantait comme ça, on trouverait ça insupportable ! » (rires). Mais le fait qu'il ait cet accent français et cette manière bizarre d'appréhender l'anglais donnent plein de charme à la musique. Donc chanter en anglais c'est pas forcément renier le fait d'être français.

Il y a pas mal de remix de vos morceaux, des grands noms en plus (Yuksek, The Shoes). Ça fait quoi de savoir qu'on reprend vos sons comme ça ?

Gaëtan : Bon déjà, tout ces types on les connait (rires). En tout cas c'est toujours intéressant parce qu'on voit comment un artiste peut percevoir nos morceaux. Parfois ça permet aussi de révéler un morceau, je pense à un remix qu'ont fait les Fortune pour nous sur Gravy Train que je trouve génial. Ils ont vraiment donné une autre mélodie sur la ligne de chant et je trouve que cette mélodie est fantastique et du coup je me dis « Merde mais pourquoi on a pas pensé à ça ? ». Les remix ont un peu cet attrait là, celui de donner une autre dimension au morceau, un autre point de vue que celui qu'on aurait pu avoir.

Comment vous percevez ce décalage (si décalage il y a) entre votre musique en concert et en club avec ces remix ?

Gaëtan : C'est vrai, il y a peut-être une chose qui est vraiment différente c'est que le nouvel album d'Adam Kesher même s'il est très électro, il n'est pas si club que ça et là où c'est assez frappant c'est que sur les remix on peut avoir quelque chose qui va être clairement en mode club, beaucoup plus rentre-dedans, beaucoup moins pop, beaucoup moins glissant, plus frontal. De ce point de vue là, je trouve ça cool parce que j'aime bien le night-clubbing quand même et ça me fait plaisir de savoir que mes morceaux peuvent avoir possiblement leur place dans une soirée où ça marche à coup de beats très simples. C'est magique ce truc qui fait qu'un morceau va nous faire bouger, danser. Dans ce sens, le remix est un très bon angle d'attaque par rapport à la musique. Bien qu'on soit aussi fan de musique très intellectuelle, très cérébrale on comprend tout à fait aussi le point de vue de la musique qui est beaucoup plus physiologique, plus corporelle avec ce que ça a de parade sexuelle. Je trouve que c'est important d'avoir un accès à ça, pour moi ça serait absurde que la musique n'ait pas aussi ce sens là.

Qu'est ce que vous aimeriez qu'on se dise quand on vient vous voir en concert ?

Gaëtan : Bah ce soir par exemple on m'a appelé « guitare blanche » (rires) et... c'est pas que j'ai pas aimé, j'ai trouvé ça marrant mais j'aurais préféré « Eh toi ! » à la limite (re-rires). Non, mais par rapport à notre musique, c'est quelque chose qui nous est arrivé quelques fois mais j'aimerais vraiment que ça soit plus prégnant, plus puissant à certains moments, ça serait qu'on puisse sentir les gens plus « habités ». Il nous est arrivé un truc une fois... tout le monde chantait un morceau et c'était tellement cool ! C'était vraiment fou ! Là, c'est un peu effrayant parce que je pense à plein de choses sur les masses et tout ce que ça peut avoir de fascisant d'imaginer la foule qui fait le même geste en même temps. Quand j'imagine ça, je me dis que c'est ça qui me ferait le plus plaisir : que plein de gens puissent s'identifier à notre musique.


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