mercredi 2 décembre 2009

Sujet : Yacht, Vous avez 5 heures

Honnêtement, oui de visu ça ressemble à une dissertation de culture générale (ou de philo pour les plus modestes). Ils m’ont étalé leur science pendant un moment, comme si la simple perspective d’une ITW avec un magazine français était l’occasion de sabrer à grand coups de références arty la culture underground. Yacht est efficace mais complexe. Yacht n’est pas qu’un groupe. Yacht n’est pas un culte pour autant. Yacht est une organisation rigoureuse qui fait de la musique de qualité et qui croit accessoirement aux extra-terrestres. Un véritable concept qui dope nos iTunes fades de rythmes psychédéliques. Ça nous rappelle fraîchement que la culture Punk n’est pas bien loin et qu’elle traîne encore dans son sillage les réminiscences du rêve hippie de nos ancêtres que sont l’organisation communautaire, l’idée de mouvement culturel alternatif, d’élévation spirituelle et d’essence musicale. Tout ça dans la plus pure tradition du “j’te choque en douce mon vieux camarade”. Ça donne un rock alternatif gaiement perché, qu’on apprécie d’autant plus après analyse du sujet et développement en trois parties trois sous-parties. Bizarre je vous dit... Mais truculent.



LCT feat BRAIN / First, comment vous décririez le phénomène Yacht en quelques mots ?
Yacht : De jeunes américains au défi de la technologie


Jona, dis moi, qui est Claire L.Evans ?
Yacht (Jona) : Claire L.Evans est une sorte de version contemporaine de David Koresh


Claire, dis moi, qui est Jona Bechtolt ?
Yacht (Claire) : Jona est LA version contemporaine de Joseph Smith


Comment vous vous êtes rencontrés ? Un genre de crush ?
Yacht : On s’est rencontrés en 2004 à Los Angeles. Nos groupes respectifs se sont retrouvés à jouer par hasard dans une minuscule galerie d’art. A l’époque Claire était dans un groupe bordélique de LA, Weirdo/Begeirdo, et Yacht était le projet perso de Jona (alors en tournée dans les Etats Unis). La veille de ce show à Los Angeles, Jona se produisait dans une ville paumée du fin fond du désert du Texas, Marfa, connue du reste pour être l’hôte d’un phénomène paranormal “The Mystery Light”. Jona a vu les “Mystery Light” ce soir là (nous nous sommes rencontré le lendemain) et ça a changé la donne du reste de nos vies. C’est devenu le thème central de notre album “See Mystery Lights”.


Quel est votre meilleur souvenir de gosse à Portland ?
On n’a pas vraiment le droit d’être nostalgique si on s’engage sur la voie de l’accomplissement. Nos enfances respectives ont été démentes, mais tu vois les gosses n’ont pas vraiment d’emprises sur leurs destinées, ils ne font qu’apprendre, s’exprimer et fantasmer sur un avenir qu’ils ne contrôlent pas encore, par définition. Nos projets ont façonné nos destinées, en tant que membre du groupe aussi bien qu’en tant qu’individu. C’est la raison d’être de Yacht. On aurait certainement pas existé si on avait pas vécu à cette époque où les gens ont si facilement accès à la culture, à l’information, et au simple génie qu’inspire l’âge Internet.


Cet album est purement original, sincère dans ce qu’il propose au public. Quand vos bossiez sur cet opus vous aviez une ambition spécifique ?
L’influence la plus concrète et la plus singulière pour “See Mystery Light” est tautologique du titre “LIGHTS”. C’est un peu la retranscription de notre expérience du phénomène paranormal des “Marfa Lights”, auquel nous avons été confrontés plusieurs fois dans le désert du Far West, alors que nous bossions sur l’album. Ces putains de lumières ont totalement chamboulé nos croyances et notre compréhension naïve de l’univers. On s’est rendu compte que pendant des siècles (avant même que la magie devienne une science mineure) même le plus insignifiant des phénomènes était un mystère inextricable. Dans ce monde riche de sens, pour des gens comme nous qui avons grandit avec des ordinateurs à disposition et dont les vies toutes entières ont été profondément influencées par cet accès facilité à la connaissance, un truc comme le phénomène des “Marfa Lights” reste un puissant mystère. Le genre d’expérience qui change ta conception du monde. Yacht n’aurait pas pu rester le même boxon après ça, donc on s’est juste appliqués à produire une musique à l’image de nos sentiments. C’était pas seulement une expérience phénoménologique. Les Lumières ont sollicités nos pensées latentes, on s’est tout de suite plongés dans des recherches -- ésotérisme, science fiction, théorie du complot, magie, rites religieux, symbolisme historique et mythologie. Ca à l’air fastidieux comme ça, mais au fond on est totalement fascinés par cet aspect transcendantal de l’expérience humaine, de l’appréhension de l’univers.


Moi je dirais que vous êtes vraiment à cheval entre quelque chose d’électro punk et de new wave. Vous vous sentez dépendant d’un seul mouvement musical ?
Merci de mouvoir les conceptions étriqués des “genres” musicaux. On essaie effectivement de rester ouvert à toutes les classifications musicales que les gens nous imposes, de l’électro geek à la laptop musique. Mais finalement tu sais quoi, ça nous en dit plus sur les individus qui nous étiquettes que sur nous même. C’est toujours super intéressant de voir comment on est envisagés. Ça révèle des trucs profonds sur les gens, sur leurs expériences de la musique et de l’art.


Maintenant, quel est le vrai genre de Yacht ? Qu’est ce que Yacht exactement ?
Pour faire court et simple c’est ce qu’on explique dans le descriptif de notre statut : “Yacht est un groupe, une compagnie et un système de croyances”. C’est pas une blague, c’est suffisamment simple pour montrer à quel point on est soucieux de ne pas se restreindre à un genre ou à une démarche en particulier. En gros quand on nous demandes on dit souvent “Yacht is a midly psychedelic beat driven religious grunge pop” (j’ai tenté, mais aucune traduction n’est acceptable).



Comment est ce que DFA vous a abordé ?
Notre relation avec DFA est partie d’un échange d'e-mails foireux pour finalement nous emmener à réaliser cette incroyable tournée nationale avec LCD soundsystem en 2007, en passant par la concrétisation d’amitiés solides, puis par la sortie plus discrète du single "Summer Song"... A l’époque ils nous avaient juste demandé si on se sentait de signer l’album avec eux. On travaillait déjà beaucoup avec ce label, on avait capté leur éthique et on était en phase avec leurs méthodes de travail. Malgré ce qu’on peut imaginer, c’est un petit business, du même acabit que les autres labels indépendant de Portland avec lesquels on a pu collaborer par le passé. On a décidé de bosser seulement avec des gens desquels on se sent proche, DFA fait clairement parti de cette catégorie.


Qu’est ce que ce Label a apporté à votre musique (à part des $... ou pas d’ailleurs) ? Quel a été l’impact de votre signature avec eux sur votre carrière ?
On est plutôt chanceux de bosser avec eux, pour un tas de raisons différentes. De base, leur réputation est un atout dans la mesure ou l’empreinte DFA est encore pour beaucoup un gage de valeur et de bon goût. Ça nous a permit de pénétrer les cœurs et les esprits d’un paquet de gens qui n’auraient sans doute pas parier un copec sur Yacht avant ça. Pour nous ça a un peu été la rencontre providentielle, une manière de s’immiscer dans un monde (clubs, radios, productions) et d’y placer (en détente) pleins de petits messages subversifs. DFA nous a fait entrer dans un univers, maintenant on essaie de se servir de cette notoriété pour avancer.


Yacht n’est pas qu’un simple groupe, Il y a toute une idéologie en parallèle de votre musique. Par contre vous vous êtes senti obligés de mentionner sur myspace que “Yacht n’est pas un culte mais davantage un système de croyances”. Ça rend la nuance assez bancale... Vous n’avez pas peur d'apparaître comme des sortes de leaders sectaires un peu psycho ?
Pas vraiment. Au contraire, on tente de prévenir les accusations douteuses. Je pense que la culture mainstream a vite fait de nous conduire à l’utilisation de mots prêt à l’emploi comme “Cultes”, ce qui marginalise pas mal les groupes religieux de moindre ampleur. D’autres qualificatifs comme “Punk” ont congédié certains styles musicaux (même si au fond l’intention était claire dans le cas de la Punk). C’est un truc typiquement américain et, pour le coup, plus communément humain chez ces gens qui tentent d’exposer leur identité culturelle et religieuse -couramment, depuis la naissance de l’idée de communion spirituelle chez les hippies -. Finalement on a un immense respect pour cette tradition. On trouve répugnante la manière dont les rites religieux dominants se permettent de condamner ces mouvements alternatifs, puisque nous les envisageons nous même comme l’expression d’une pure spiritualité. Nous sommes l’incarnation de la figure de l’opprimé, nous avons grandis au cœur de cette culture pop du nord ouest des États-Unis. On peut dire que Yacht tente de réconcilier l’aspect underground de la musique avec son propre héritage spirituelle. Au bout du compte on est tous les deux motivés par le désir de créer quelque chose de spécial, de vrai, de rare, quelque chose de moins conventionnel.


Vous pourriez nous dire deux trois mots de plus sur cette idéologie ? C’est quoi le rapport avec votre musique ? L’espoir ? Quel est le message que vous véhiculez à travers ce système de croyances ?
On est tellement ravie que tu demandes. Les bases de notre croyance sont abordées dans notre dernier bouquin “The Secret Teachings of the Mystery Lights : An handbook on Overcoming Humanity and Becoming your Own God”. On s’y réfère comme à une véritable bible mais faut quand même avouer que c’est bien moins dogmatique. Ça permet essentiellement aux gens qui le veulent de comprendre notre idéologie et de préciser que ce système de croyance n’est pas tout à fait religieux (cf notre Myspace “Nous ne sommes pas un Culte”). C’est très utile si bien appliqué. Ça tourne autour de 4 points qui sont les suivants :
La science et la Religion (et tout autre genre d’entreprise humaine) répondent de la même démarche en dépit de leur contradiction apparente. Elles sont deux moyens de mettre en perspective ce qui dépasse l’entendement humain. Ce qui est justement plus immense que notre humanité c’est l’univers lui même. L’inconcevable en science comme en religion dépendent des mêmes vecteurs mais d’interprétations différentes.
Si tu envisages Dieu comme l’Univers tout entier, par voie de conséquence tu te considères comme fragment de Dieu. Nous sommes des composantes de ce mystère cosmique. Ce qui en soit devrait être plutôt stimulant.
En tant que tel chacun à le pouvoir nécessaire de façonner sa destinée, d’écrire ses propres théories, de devenir un média à part entier, de penser pour soit même.
Enfin, nous considérons que tous les systèmes de croyances alternatifs qui nous ont précédés ont échoué à un certain degré. Impossible de transcender notre nature pour devenir des super-humains. Nous sommes de gros bordels, sur la défensive, essentiellement animaux. C’est ce pourquoi nous sommes partie intégrante du chaos. On devrait réussir à se comprendre et à inspirer notre sensibilité créative, on devrait pouvoir vivre heureux et épanouie au lieu de se sentir constamment prit dans l’étau du péché.


Quelle est la signification du triangle qui vous symbolise? Les trois aspects de la personnalités, La lumière, L’obscurité, La temporalité ?
On pensait qu’il était important pour nous d’avoir un visuel puisqu’on n’est plus seulement un groupe. Les religions ont des symboles à disposition. Les groupes Punk aussi. C’est un vecteur d’identité pour quiconque se réclame d’une “tribu”. Un type qui porte un Black Flag de manière ostentatoire ne dit pas “J’aime les Black Flag”. Il dit “Je suis un Punk, je suis membre d’un mouvement au delà de la musique et de la mode”. Idem pour une étoile de David ou pour un Crucifix. J’espère que notre idéologie transparaît tout autant dans la symbolique du triangle. Le triptyque “lumière, obscurité, temporalité” est emprunté aux francs-maçons qui considère le triangle lumineux comme une pièce maîtresse de leur héritage ésotérique. C’est dire à quel point les interprétations ont vécu depuis des siècles. Toutes les religions en on fait leur partie, des Hindous aux Mayas en passant par le théorème de Pythagore ou encore la simple trinité Chrétienne. Il y a beaucoup de potentiel quand à la signification que chacun lui attribue. C’est limite aux prémisses du tout et n’importe quoi. C’est la raison de notre choix. Tout le monde peut y trouver du sens et personne n’est obligé d’en partager le secret.


Vous croyez aux extra-terrestres ? Une blague, dites moi, y’a pas un peu d’ironie dans cette description ? Si ce n’est pas le cas vous m’expliqueriez éventuellement en quoi ça influence votre musique ?

Mais pourquoi le fait de croire en une potentielle forme de vie extra-terrestre devrait automatiquement faire l’objet d’une blague ? C’est purement chauvin (et très typique). Les hommes sont convaincus qu’ils sont le seul miracle de la création , que rien d’autre n’a jamais pu arriver. Le cosmos est immenssissime, il y a une tonne de probabilité qu’au delà de nos perceptions, d’autres mondes existent. Dans notre propre système solaire on est en train de se rendre compte que la vie a pu prendre des aspects dont on ignorait tout jusqu’à aujourd’hui- de l’eau sur la lune, sur Mars. C’est pas être excentrique que de s’inscrire dans l’humble tradition humaniste de Carl Sagan, et de considérer le potentiel de notre gigantesque univers. On est quand même pas en train de dire qu’on s’imagine l’arrivée express de petits weirdos verts en soucoupe volante...


Quel est selon vous, le but majeur de votre art ?
De formuler et de transmettre un message.


Si vous aviez le pouvoir surnaturel de réunir 5 personnalités pour un dîner (morts ou vivants)... ?
Yajoi Kusama, Karl Lagerfeld, Carl Sagan, L.Ron Hubbard et Kurt Cobain. Yajoi et Karl se trouverait certainement délicieux l’un l’autre -- si ça se trouve ils se sont rencontrés dans la vrai vie -- pendant ce temps Carl passerait la soirée à expliquer très calmement, très raisonnablement, ce qu’est la science à L.Ron Hubbard qui lui l’enverrait sauvagement balader... Idem pour Kurt.


Et qu’est ce qu’on boirait à cette table ?
Une petite canette de Coca et un gros trait de bazar pour Kurt, une tasse de thé pour Yojai, un café corsé pour Carl Sagan, un Dry Martini pour Karl Lagerfeld et une plaquette de LSD dissolue dans un Sprite pour L. Ron Hubbard.


Jona, j’ai vu que tu bossais pour ce blog en ligne Urban Honking. Quel est ton opinion à l’égard de la relation Music business / Internet ?
Urban Honking est un blog communautaire participatif que j’ai crée en 2000 avec deux bons potes. On étaient pas satisfait des contenus en ligne donc on a décidé de se débrouiller. Au départ c’était juste un magazine et puis au fil du temps ça a prit de l’ampleur, c’est devenu un network, regroupant différents blogs (science, photo, cuisine, musique etc...)... Limite comme un network TV. On ne dépend d’aucun financement privé donc la passion de chacun est à l’oeuvre dans la production du contenu. On utilise Urban Honking comme une plate-forme pour nos projets. Urban Honking est un exemple de réussite pour n’importe quel média indépendant en ligne. Il faut je pense juste mettre le doigt sur son besoin, adapter et développer des structures adéquates pour produire un travail de qualité. le Business de la musique part de l’a priori que les gens n’ont pas nécessairement besoin d’interagir avec les artistes qu’ils apprécient; ils finissent par séparer le créatif de la réalité. C’est ce pourquoi on fait super attention à la cohérence de nos productions, à tous les niveaux. Rien n’est conçu ou élaboré par quelqu’un d’autre que nous : t-shirt, web design, dossier de presse, packaging, artwork sur les albums, graphisme...


Sur scène ? Comment c’est d’être Yacht sur scène ?
C’est revigorant. Sur scène on a l’avantage d’être en osmose tous les deux ça permet vraiment de communiquer avec le public. C’est la plus pure illustration de ce que Yacht peut être. Le show n’est rien sans le public et on prend un plaisir évident à explorer la profondeur de cette relation. On essaie à fond de faire qu’aucun show ne ressemble à un autre, on ne veut pas que les gens puissent nous voir plusieurs fois en concert et qu’ils finissent par se dire qu’ils ont totalement capté notre personnalité scénique. On remixe, on ré-arrange les éléments vidéos, on change de fringues, on change d’attitudes, parfois on va même jusqu’à repenser notre gestuelle. On veut vraiment que nos shows transcendent la routine du “4 guitars band”. Les gens ont un bagage d’idées préconçues sur ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire pendant un concert. Ils sont convaincus d’avoir un rôle. C’est ce qu’on tente de bouleverser lorsqu’on se produit.



Qui est le dieu de la musique ?
Dans la mythologie grecque, Apollo



Si vous en aviez le pouvoir qui est ce que vous éradiqueriez ?
Les Lizard people





Live @ Point Ephemère, Paris.

4 commentaires:

Da Capote a dit…

N'arrête surtout pas le bâton de berger.

StreetR a dit…

Ben voila une ITW qui sort des rangs... et qui nous devoile un curieux concept musical pour le moins decalé. Apres on adere ou pas mais ils ont eu le merite de rendre une copie en bonne et due forme

Mathilde a dit…

j'apprécie le fait qu'ils collent à leur éthique, ça dégage une sorte de truc honnête dans leur musique et franchement par les temps qui courent c'est pas du luxe.

StreetR a dit…

C'est le moins que l'on puisse dire... tout va ensemble, le clip leur musique, l'interview. ça doit etre vachement enrichissant de rencontrer de telles personnes (groupe... euh culte... euh concept..??)... Et oui l'integrité, la sincerité, croire a fond a ses convictions sont des valeurs qui se perdent malheureusement....
En tout cas c cool de nous faire partager ce genre d'experience, et de nous faire decouvrir du song qui sort des sentiers battus de l'audio visuel de m...
Bonne petite decouverte votre blog